L'attention,

source de plénitude

Par V.B Dhiravamsa
Comment se guérir de la peur



La peur est un grand problème dans notre vie, en particulier dans les
temps modernes. Tout le monde se sent très en insécurité chacun a des
problèmes émotionnels et psychologiques. Les jeunes souffrent le plus, ou
peut-être sont-ils plus ouverts à la souffrance que les personnes plus
âgées. Les changements sont si nombreux qu'ils créent la confusion. Ceux qui
ne sont pas familiers avec leur rapidité prennent peur et sont sujets à des
tensions d'ordre émotionnel. La peur est liée à l'anxiété et à la
culpabilité. Les êtres éclairés parlent toujours des sages comme étant
affranchis de la peur et des liens.

Aussi longtemps que nous sommes incapables de nous libérer de la peur, il
ne peut y avoir de sagesse. Notre savoir est tout à fait inopérant à
résoudre les situations devant lesquelles nous met la vie. La peur apparaît
parfois sans raison -- un très fort sentiment de peur peut nous assaillir
alors que nous prenons un bain. Ceux qui méditent en solitaire dans une
grotte peuvent être assaillis par un puissant sentiment de peur. Dans la vie
de tous les jours, la peur d'être rejeté par des amis ou des gens que nous
rencontrons peut nous prendre. Nous voulons avoir des amis, nous nous
accrochons à l'idée qu'il nous faut à tout prix entretenir nos amitiés. En
conséquence, nous manquons forcément d'authenticité dans nos relations
humaines.


De même, nous avons peur d'aimer. Nous voudrions aimer nos amis et nos
enfants, mais la peur nous en empêche. Si nous nous observons de près, nous
verrons que cela est un fait. Nous voulons être aimés, mais avons peur
d'aimer. Certains éprouvent de la difficulté à employer le mot amour ; le
mot pouvant être entendu diversement, ils craignent le malentendu. Les
moines bouddhistes n'ont pas le droit d'employer le mot amour car, selon la
tradition monastique, ils ne sont pas censés aimer, c'est-à-dire avoir des
réactions émotionnelles ou de possessivité (ce qui correspond au sens étroit
qui est généralement donné à ce mot). A la place, les bouddhistes recourent
au mot metta que l'on peut rendre en français par compassion.


Il n'empêche que l'amour existe, en tant que sentiment profond et
authentique, ou en tant que vérité. Qu'il y ait metta ou amour, le sentiment
existe, il est là, peu importe le nom qu'on lui donne. Nous pouvons aussi
avoir peur de l'amour par crainte de nous attacher. Comprenons comment nous
rétrécissons notre univers de vie, comment nous érigeons des murs pour
assurer notre sécurité et nous sentir hors de danger. La peur sous-tend de
tels schémas de comportement. L'étroitesse d'esprit, l'égoïsme, tout ce qui
est réducteur est une conséquence de notre peur. Nous avons le sentiment de
n'être pas égoïste. Arrive quelqu'un qui est plus fort que nous, et voilà
que s'installe l'esprit de rivalité. Pour entrer en concurrence avec lui,
nous recourons à l'égoïsme. Nous devons être violent et cruel dans les
affaires, en sorte de battre les autres. La violence, la cruauté et
l'injustice qui règnent dans notre société proviennent de la peur qui nous
fait déformer la réalité, qui nous empêche de vivre réellement.

La peur est intimement liée à la souffrance, et la souffrance est liée au
sentiment de solitude. La souffrance, c'est parfois l'aridité et l'absence
de vie que nous éprouvons. Lorsque nous nous sentons vide, cela signifie que
quelque chose nous a été ôté. La peur est là parce que nous craignons de
perdre ceci ou cela. La souffrance apparaît à cause du désir, de l'avidité,
de l'attachement et de la dépendance émotionnelle. étant dépendant au plan
émotionnel de choses extérieures ou de personnes pour notre bonheur et notre
sécurité, nous créons la peur de façon inconsciente. Certains s'attachent à
l'idée d'indépendance. Apparemment, ils s'autosuffisent (du point de vue
physique et pécuniaire), mais au plan émotionnel, ils sont profondément
dépendants. Il y a peur et anxiété, ce qui les empêchent d'être à l'aise
avec eux-mêmes, où qu'ils soient.

Un autre processus de la peur est dû à notre identification erronée qui
déforme tout dans notre vie. C'est à cause d'elle que nous ne percevons pas
notre être réel, notre soi réel -- au sens ou l'entendent les Occidentaux.
Etant identifié à une entité qui n'est pas nous, comment pourrions-nous être
authentique? C'est impossible. Nous sommes identifiés à notre caractère et à
notre statut social, à notre profession, à l'image ou à l'impression que
nous avons de nous-même. Nous ignorons par conséquent ce que nous sommes
réellement. Si nous savions qui nous sommes réellement, tous nos problèmes
disparaîtraient. Nous cesserions d'être la proie de l'anxiété et de la peur,
qui sont notre lot depuis la naissance. Ces sentiments étant familiers à
notre conscience, nous nous laissons prendre par eux et leur permettons de
gouverner notre vie.


Chacun a une image de lui-même l'un se voit dominateur, l'autre soumis,
l'autre indifférent. De telles images sont fausses. Elles correspondent à
une partie de nous-même seulement, elles ne sont pas notre être intégral.
Elles ne sont pas la réalité. L'élément dominant n'est qu'un élément parmi
d'autres, un trait de notre caractère. Parfois nous sommes dominateur,
parfois pas ; parfois il y a attachement, parfois détachement. Ce ne sont
que des éléments apparaissant dans notre vie. S'identifier à eux est une
erreur. Mais nous devons être conscient du facteur dominant de notre
personnalité. Qu'est-ce qui nous rend malheureux, qui provoque la
souffrance? Nous devons accorder notre attention à ce schéma en sorte de le
distinguer ; être présent à lui sans nous dire c'est « moi » ou « à moi ».
En retirant les obstacles nous permettons à notre réel de se manifester.
Nous devons examiner les obstacles et non pas nous lancer à la recherche de
notre être réel. Soyons présent à nos obstacles. Il n'est pas besoin de
faire quoi que ce soit pour provoquer l'émergence de notre être réel -- il
se manifestera de lui-même.

L'enfant qui grandit dans une ambiance d'acceptation, où on l'invite à
prendre les choses telles qu'elles sont, à les voir telles qu'elles sont,
est sain ; son anxiété et sa peur sont minimes -- elles ne deviennent pas
des facteurs dominants dans sa vie. L'enfant qui, par contre, grandit dans
une ambiance où règnent l'ambition, la rivalité et une stricte discipline
est sujet à l'anxiété. Lorsque son entourage ne correspond pas à celui de
son enfance, il se sent menacé dans sa sécurité, ce qui intensifie son
sentiment d'anxiété. L'anxiété entraîne la peur, et la peur étant là, nous
faisons des erreurs. Puis arrive le sentiment de culpabilité. Nous nous
sentons coupable d'avoir fait telle chose, mais aussi par rapport à ce que
nous aurions dû faire ou ne pas faire. Sans l'injonction «Faites ceci ou
bien cela », il n'y a pas de culpabilité. La culpabilité est vraiment une
illusion. L'illusion et la réalité s'excluent l'une l'autre. Etant pris dans
l'illusion, nous ne pouvons pas voir la réalité. Et quand nous voyons la
réalité, l'illusion s'évanouit -- la lumière étant là, l'obscurité
disparaît. La culpabilité est due à un conditionnement psychologique, et
elle est liée aux règles, aux préceptes et à l'autorité ultime. Avec la
règle vient la norme, et lorsque nous ne vivons pas suivant la règle (ou
lorsque nous l'enfreignons), nous créons la culpabilité.

En Inde, il existe une philosophie matérialiste du nom de lokayata. Elle
attaque de façon véhémente toutes les religions. Selon elle, toutes les
religions font usage de certains mots sacrés en guise de menace -- comme
bien et mal, ciel et enfer. Si nous comprenons le vrai sens du bien et du
mal, du ciel et de l'enfer, ces notions ne créent pas de problèmes dans
notre vie. Le bien absolu, comme le mal absolu, n'existe pas. Le ciel n'est
pas éternel, et l'enfer n'est pas son opposé. Ils sont l'un et l'autre des
expériences de la vie. Nous montons au ciel et descendons en enfer. Dans nos
expériences, lorsque nous nous tourmentons nous-même, lorsque nous sommes en
proie à des difficultés émotionnelles, nous sommes en enfer. Lorsque nous
connaissons la joie, la paix et le bonheur, nous sommes au ciel. Cette
alternance nous empêche de nous figer ; elle est un enseignement sans fin.

Les êtres humains sont malléables. Nous devons nous prendre en charge
complètement, car si nous avons la capacité de nous enfoncer, nous avons
aussi celle de nous élever -- suivant notre compréhension de la vie et de
nos actions. Que se passera-t-il lorsque nous serons entièrement libre et
libéré ? Nous continuerons de communiquer avec le monde, et le ciel et
l'enfer continueront d'être l'expérience des sens. Nous aurons parfois des
sensations déplaisantes, mais elles ne nous gouverneront plus. Nous nous en
accommoderons sans mal ; nous ne serons plus victime des expériences de ciel
et d'enfer. La libération ne met pas fin aux sentiments déplaisants ou à
l'enthousiasme, mais il y a équilibre au plan de la personnalité, de
l'émotion et du sentiment. La personnalité est saine. Elle n'est plus un
facteur menaçant, et nous ne sommes plus lié à une chose ou à une croyance
particulière. Le lien qui nous attachait à certaines croyances, certaines
idées ou certains schémas a été défait.

Il y a liberté, parce que nous avons atteint la réalisation de nous-même.
Nous sommes réel, vis-à-vis de nous-même et des autres. Lorsque la peur est
pour nous un obstacle, regardons-la de très près quand elle apparaît.

Qu'est-ce qui provoque la peur? Il peut nous sembler que l'autre nous
rejettera si nous parlons franchement. En fait, c'est souvent le contraire
qui se produit. La critique constructive est essentielle, encore faut-il
qu'elle soit faite judicieusement. Peut-être avons-nous souffert de rejet
dans le passé et craignons-nous que le fait ne se reproduise ? Bien sûr, il
faut être aimable avec les autres, mais cela ne signifie pas ne jamais avoir
le verbe incisif. Certains êtres dorment profondément. Nous devons leur
venir en aide et parler avec vigueur. Mais notre attitude doit être de
compassion, non pas de haine et d'antipathie ou chargée de toute autre
émotion négative.

Parfois nous nous haïssons. Pourquoi ? Parce que nous nous imposons des
normes de conduite. Quand nous ne pouvons agir selon ces normes, nous nous
haïssons, nous nous rejetons. Le fossé de l'illusion grandit et nous nous
éloignons de plus en plus de notre nature réelle. La haine peut amplifier la
peur. Quand nous nous haïssons, nous avons peur de regarder en nous,
craignant de voir quelque chose de déplaisant. Nous ne distinguons pas la
beauté intérieure -- nous ne sommes en contact qu'avec l'être apparent. Il
est très facile de passer à côté de la réalité intérieure, de la vérité.
Selon la terminologie occidentale, se trouver, trouver

son être réel, équivaut à trouver Dieu. Dieu est notre nature réelle. A ce
point, il n'y a plus ni séparation ni division. Il y a unité d'être. Il y a
identité, mais avec le tout. Il demeure une sorte de relation, car l'un et
le multiple ne sont pas différents. Lorsque nous disons faire l'expérience
de l'un, nous sommes également dans le multiple. Il y a entre eux une
relation qui n'est pas basée sur l'image. Nous sommes uni à l'être Unique ;
nous sommes totalement avec nous-même, avec notre être réel. En nous, dans
l'être réel, tout est inclus.



Dans le bouddhisme, il est question d'extinction de tous les états
conditionnés ; ce qui est ensuite est appelé Nirvana. L'état de Nirvana est
extinction, et l'extinction produit l'être. Ce qui s'éteint, ce sont les
manifestations, l'irréalité. Il y a mort, mais aussi renaissance. Les deux
se font simultanément. Le bouddhisme entend le Nirvana en tant que processus
d'extinction, de rencontre avec la Vacuité. La Vacuité signifie renaissance
et l'extinction des conditions signifie mort. Dans la religion chrétienne,
il est question de mort dans le Christ, autrement dit, de mort aux
conditions, à l'imperfection. « Christ en nous » signifie la renaissance,
l'émergence de l'être réel. Dans la religion islamique on parle d'extinction
en Dieu. La mort existe mais nous ne devrions pas en avoir peur. Sans mort,
il n'y a pas de renaissance. Si ce qui est vieux ne meurt pas, le neuf ne
peut pas naître ; ce qui est neuf ne peut pas co-exister avec ce qui est
vieux.


Quand nous voyons la vérité, c'est notre être réel que nous voyons. Puis
notre personnalité apparente met un certain temps à se réaliser conformément
à notre vision. Nous devons être patient. Il y a aussi la peur de perdre ce
que nous avons gagné. Vouloir que se répète une expérience est également un
obstacle. L'expérience de la vérité peut n'être qu'inconsciente -- de toute
façon elle opère en nous un changement radical. Elle met de l'ordre dans la
psyché, dans les profondeurs de l'esprit, éclaircissant des processus
mentaux. Cependant, notre tâche n'est pas finie. C'est comme de cultiver des
légumes il nous faut prendre soin d'eux, les arroser avec amour et
compréhension. De la même manière, veillons à ce que notre nouvelle
expérience n'aille pas s'ensevelir sous une masse d'influences et la
confusion.

Nous devons arriver à voir l'image fausse ou idéalisée à laquelle nous
sommes identifié et découvrir notre nature réelle. L'idéalisation réduit
notre vie à un point d'où nous avons du mal à bouger. Lorsque nous nous
fixons dans certains schémas, l'inconfort nous saisit dès que nous entendons
parler d'idées en conflit avec les nôtres ; c'est parce que nous nous
accrochons à la croyance ou à l'image, objet de notre idéalisation. Sans
image, nous voyons ce que nous sommes et nous nous maintenons dans notre
être réel. Les effets de la peur se trouvent ainsi bannis. La peur devient
impuissante, lorsque nous ne lui résistons pas mais nous nous laissons aller
à la vivre pleinement. Quand nous résistons à l'expérience de la peur, elle
s'intensifie. Quand nous nous laissons aller à la vivre, à la regarder bien
en face, nous la comprenons vraiment. Si la peur nous donne envie de sauter,
sautons. Corps et esprit doivent co-opérer. Permettre au corps de se secouer
de ses peurs nous donne légèreté et clarté. Or, un corps transparent,
équilibré et intégré est à la fois un canal d'évacuation des émotions
négatives et un canal de libre transmission du flot de la vie.


La question est celle de notre attitude. Ce qui se produit à notre insu
le fait de son propre gré, alors que ce qui est délibéré provient de l'ego.
Le concept du moi et la volonté y jouent une part active. La volonté est
liée à l'ego ; ce n'est pas nous. Nous avons le libre choix. La question
n'est pas d'avoir de la volonté, car la volonté est intimement liée au
devenir ; elle n'a rien à voir avec l'être. Lorsque nous voulons quelque
chose, nous voulons devenir quelque chose ou quelqu'un, par exemple un
bodhisattva, si nous sommes un bouddhiste mahayaniste (celui qui ne veut
entrer dans le Nirvana qu'une fois que le dernier brin d'herbe aura atteint
l'illumination). La volonté est quelque chose d'erroné.


Le choix réellement libre vient avec la vision claire et profonde des
situations qui se présentent à nous instant après instant, et il est
distinct de la volonté personnelle. Ainsi, être libre de la volonté c'est
avoir atteint la vraie sagesse.